Nous aimerions évoquer avec vous un état d’esprit commun entre l’expression créatrice à l’Atelier, la conception du rêve dans la psychanalyse jungienne et le processus de création chez deux auteurs contemporains.
Commençons par les liens entre le rêve et l’expression créatrice, et plus particulièrement, par le rythme avec lequel nous nous offrons ces rendez-vous avec nous-mêmes à l’Atelier.
Frédéric Lenoir1 explique que pour Jung, « une série de rêve n’est pas une suite incohérente d’événements isolés, mais un processus de développement ou d’organisation évoluant méthodiquement par étape. Ce qui participe pleinement au processus d’individuation. Le rêve remplit ainsi pleinement, pour le sujet, sa fonction de révélation à soi-même. »
C’est aussi par la succession de nos séances à l’Atelier, à un rythme régulier, que nous pouvons constater au fil des mois un processus similaire, une sorte de tissage en nous, au sein de notre propre expression qui crée.
Tout en nous surprenant, ce que nous créons nous révèle à nous-mêmes.
Ceci se produit dans l’instant de l’Atelier mais aussi dans le cheminement au long cours. Un peu à la façon d’une progression souterraine et silencieuse comme un travail de racines ou de tubercules, imperceptible à notre conscience.
De temps en temps, c’est le printemps ! Hop, voilà des fleurs qu’on n’attendait pas et qui se mettent à pousser à un drôle d’endroit ! Elles ont des couleurs et des parfums qui nous surprennent, mais à bien y regarder, on sent qu’il y a là une cohérence. Même si celle-ci fait fi de la raison, de la morale ou des préceptes normatifs. Parfois ce phénomène se produit de manière agréable, douce ou joyeuse, d’autres fois de façon plus étonnante. Ou confrontante. Même douloureuse.
Récemment l’auteur compositeur Bertrand Belin2 a écrit un roman lié à la violence de son père. Invité à décrire son processus créatif d’écriture, il explique qu’il est « pris dans la double tension de ne pas réellement désirer parler de tout ça, d’être conduit à le faire malgré tout, parce que c’est là, c’est dans mes nerfs, quoi, et puis aussi, parce que j’aime écrire, parce que j’aime la fantaisie, j’aime le conte, j’aime la matérialité de l’écriture, l’encre, les pages, la magie de la communication comme ça (…) ».
N’est-ce pas très proche de ce que nous vivons dans les temps de création à l’Atelier, dont vous témoignez ensuite dans les temps de parole ?
C’est un autre écrivain - et dramaturge - Olivier Cadiot3 qui parle, lui aussi, de cette fonction de révélation à soi-même dans l’acte créateur : « j’ai beau travailler beaucoup, ça laisse devant un énorme inconscient… et le texte va produire des correspondances, des choses énormes que je ne vois pas moi-même. Et c’est ça le bonheur. S’il y a un bonheur dans l’écriture, c’est quand on devient lecteur de soi-même. C’est comme si vous étiez dans un appartement et vous n’avez pas vu qu’il y a une porte qui s’ouvrait de l’autre côté. Et tout d’un coup, vous voyez l’espace vu d’un autre côté, comme dans Alice au pays des merveilles. Je cherche ça en écrivant. C’est ce sentiment que j’ai envie d’obtenir ».
Jung1conseillait de « se mettre à l’écoute du rêve sans préjugés, sans esprit critique et sans volonté de le restreindre ». Il appelait à « comprendre de nouveau le langage oublié des instincts » et précisait : « les rêves surviennent lorsque la confiance et la volonté sont en majeur partie éteintes au moment du sommeil ».
À l’Atelier, en offrant un cadre qui s’attache à favoriser le désir de créer en se mettant à l’écoute de ses propres besoins de s’exprimer, nous devons reconnaître que nous sommes dans une filiation avec celles et ceux qui, depuis bien longtemps se sont intéressés à l’intériorité, c’est-à-dire à ce qui se produit en nous de façon sensible. C’est bien grâce aux exploratrices et explorateurs qui nous ont précédés (artistes, scientifiques ou ni l’un ni l’autre) qu’aujourd’hui ces notions de non-jugement nous sont familières. Dans le domaine artistique, l’académisme du XIXe siècle y était totalement étranger et réfractaire. Il a fallu l’audace et la révolte des romantiques, des réalistes et de nombreux autres courants ou recherches singulières pour que les créatrices et créateurs osent aborder et adopter cette démarche.
Comme l’affirmait Jung pour le rêve, lorsque nous dialoguons par le sensible avec les peintures et les tissus, les argiles, les papiers et bien d’autres médiums, nous avons tout autant besoin de nous mettre en état d’écoute, de ne pas restreindre ce qui se présente et de ne pas sous-estimer la valeur de notre expérience. Nous réapprenons ce langage, nous réapprenons chaque fois cette approche de la vie en nous.
Et, pour ce faire, pour que se développe notre expression créatrice et pour qu’elle puisse circuler et s’épanouir librement, il faut en effet un certain retrait de la volonté consciente, de la pensée surplombante, de la volonté et du calcul. C’est tout cela que veut favoriser le cadre sécurisant de l’Atelier.
Toujours au sujet du rêve, Marie Louise von Frantz1 faisait remarquer que si l’on empêche quelqu’un de rêver, on le rend malade : « le rêve a par conséquent une fonction normale, constructive, assurant sans doute une sorte d’équilibre dans le processus vital ».
Ne ressentons-nous pas, également, ce sentiment d’équilibre - ou de ré-équilibrage - à l’intérieur de nous et dans l’échange avec les autres participants de l’atelier après une séance complète - création et temps de parole - ?
Ne perçoit-t-on pas particulièrement une sorte de courant qui nous réunit dans nos explorations, nos expressions respectives et dans la présence à ce qui en surgit « sans préjugés, sans esprit critique et sans volonté de le restreindre » ?
Parce qu’il faut tout de même un certain courage pour s’adonner à ce mode, ce langage, cette intelligence sensible, Bertrand Belin expliquait « parfois un mot me semble arriver là comme un œuf et je dois le couver pour voir ce qui doit on sortir ». « Après, il me faut déplier, déployer, un peu à la manière d’un archéologue qui, avec son pinceau et ses outils, aurait découvert une vertèbre dans le sous-sol et puis doit dégager la terre autour pour voir ce qui va apparaître, à quoi cette vertèbre appartient, à quel récit, à quel animal, à quelles choses. En écrivant, c’est comme si j’enlevais, c’est un peu de la sculpture, quoi ». Au sujet de son dernier livre, il précise qu’il l’a écrit «« avec un métabolisme mais pas vraiment un plan ».
À l’Atelier, alors même que nous pouvons avoir un projet et tenir à respecter un besoin de justesse avec nous-mêmes, on sait que notre ébauche ou notre plan n’a rien de définitif et que nous allons tenter simplement d’être avec ce qui se présentera au bout de nos doigts.
C’est ce que vous faites, chacune, chacun à votre façon singulière et unique.
Et c’est ce qui nous remplit de bonheur à chaque fois.
Ce mois-ci nous ouvrirons l’un des 3 ateliers proposés dans l’année pour une journée entière dans la création en plus des 3 ateliers mensuels de 2H.
Tarifs : 22€ une séance JEUDI ou VENDREDI , 17€ si abonnement à 6 séances au choix
60€ la journée du SAMEDI
Sources :
1 « Jung, un voyage vers soi », Frédéric Lenoir, Albin Michel, Le livre de poche.
3 Olivier Cadiot au micro de Laure Adler dans L’Heure bleue, sur France Inter en janvier 2021, extrait rediffusé dans Les Midis de France Culture.